J’ai rendez-vous avec ma psy
La psy : Comment va votre maman ?
Dounia : La procédure est toujours en cours.
La psy : Oui, ce n’est pas étonnant. De nos jours, c’est encore plus long et plus dur de divorcer que de se marier !
Dounia : Ça va bientôt faire 30 ans qu’ils sont en instance de divorce. On est plus à un mois près…
La psy : Vous avez pu prendre le temps de parler avec eux comme convenu ?
Dounia : Non, ce n’est jamais vraiment le moment…
La psy : Je vois. Bien, prenez une feuille et ce stylo. Ecrivez, dites-leur tout ce que vous avez sur le cœur. Et surtout Dounia, ne pesez pas vos « maux ».
Dounia : La plupart des enfants vous diront qu’ils ont été extrêmement touchés par un divorce. Ils vous diront que c’est un choix qui leur a été imposé et qu’ils subiront l’impact de cette décision, prise malgré eux, tout le restant de leur vie.
Une enfance volée
La plupart des parents vous diront qu’ils ne veulent pas divorcer…pour les enfants. Ils prétexteront qu’ils préfèrent se faire violence encore quelques années, disons, le temps que le petit dernier grandisse et puisse se faire à l’idée que sa famille ne va pas tarder à se disloquer.
Mais moi, je n’avais qu’une hâte : c’était qu’ils se séparent. Le mot instance de divorce a perdu tout son sens quand on a compris que ce serait interminable. J’aurais préféré avoir deux maisons solides plutôt qu’une seule en ruine, un papa fort et une maman vaillante plutôt qu’un couple qui se déchire, et une famille recomposée plutôt que des frères et sœurs vides, vides comme mon regard. Quand du haut de mes 6 ans, je comprends, qu’il est déjà trop tard, je suis à ce moment-là trop courageuse pour rester mais pas assez pour partir. Je n’en voulais pas à la terre entière, j’en voulais juste à ma mère de se voiler la face, de subir et de se taire !
Et je vais vous dire pourquoi : parce qu’ils m’ont volé ce que j’avais de plus cher, un trésor inestimable que ni l’argent ni le temps ne me rendront.
Ils m’ont volé mon enfance.
Mais, d’accord, très bien, je vais leur écrire.
Lettre à vous
« J’aimerai que puisse guérir l’enfant que je n’ai jamais pu être.
A vous, qui avez fait de moi une adulte, malgré moi.
J’aimerais vous écrire, moi, Dounia, qui n’aie pu tirer de cette situation que des désavantages car selon vous j’étais trop petite pour :
Comprendre vos disputes, sans pudeur en ma présence, mais pas assez grande pour intervenir.
Donner mon avis dans chacune des situations que l’on m’a imposée mais pas assez grande pour débattre et encore moins réclamer mon droit.
Que ce qui m’arrive, me chagrine mais trop grande pour demander un câlin.
Qu’on me laisse seule mais assez grande pour supporter votre absence.
Que l’on me fasse confiance mais assez grande pour qu’on trahisse la mienne.
Prendre la parole en privé mais assez grande pour que l’on me hurle dessus en public.
Savoir ce que contient une bouteille de vin mais assez grande pour ramasser les éclats de verre, à moitié dans ma jambe, à moitié dans les draps.
Ouvrir la porte à un inconnu mais assez grande pour me retrouver seul avec lui une fois que vous n’étiez plus là.
Mais quel est ce lourd bagage que vous traîniez à vos dépends ?
Faut-il un mode d’emploi pour dire je t’aime à son enfant ?
A quoi bon me surprotéger de tout ce qui se passe dehors, quand c’est sous mon toit que se trouve ce qui m’a causé le plus de tort.
Combler nos besoins primaires est-ce donc ça qu’on vous enseigne ?
Si vos erreurs ne cicatrisent pas,
C’est parce que je saigne.
Mais à quoi bon vous en vouloir ?
Vous ne faisiez que votre devoir.
En réitérant tout votre vécu sur moi, c’est ce que l’on appelle l’effet Miroir.
Trop petite pour que devant moi l’on s’excuse, trop grande pour que l’on me pardonne !
Je suis trop petite pour que je refuse et trop grande pour que l’on me donne !
Trop jeune pour dire des injures mais assez grande pour vous les entendre dire !
Je ne sais jamais ce qui m’attend donc je me prépare toujours au pire.
J’apprends à prendre sur moi, quitte à crouler sous le poids, de tous ces non-dits qui m’ont fait perdre la voix.
Car je devais toujours me taire et être à l’écoute.
Et aujourd’hui on me reproche de ne jamais dévoiler mes doutes.
J’étais trop petite pour discerner le bien du mal mais assez grande pour prendre parti lors de vos discordes !
Enfermée dans ma chambre, que ma douleur soit forte.
N’avez-vous donc jamais été enfant pour me traiter de la sorte ?
Une épaule pour papa,
La seconde pour maman.
En réalité ce qu’il vous fallait c’était des parents.
Désolée, je parle beaucoup et vous n’avez pas le temps.
Après tout, ce ne sont que des « mots » d’enfant. »