Une question d’instinct
Je n’ai pas peur de l’inconnu. Je n’ai pas peur du changement ni de partir à l’aventure. Je n’ai pas peur de travailler dur pour gagner ma vie, ni des responsabilités et de la charge de travail que cela engendre.
J’aime mon métier plus que tout au monde.
Mais ce matin-là… j’aurais mieux fait de rester sous ma couette !
Il est 7h. Je traîne des pieds. Je monte dans ma voiture. Il fait encore nuit. J’ai un entretien à 8h30. Inutile de vous dire la distance qui sépare la structure de chez moi. Faites le calcul. Oui, c’est loin, très loin.
J’ai mal dormi. Le chef de service m’a appelé au moins trois fois la veille, pour confirmer à nouveau l’heure du rendez-vous. Il avait l’ère très enthousiaste. Avec du recul, je dirais même trop insistant.
Mais ce matin, ma voiture ne démarre pas. Je tourne encore et encore la clé. Le moteur fait un bruit sourd. Il y a de la buée plein le parebrise. J’ai froid et chaud en même temps. C’est la première fois de ma vie que ma voiture fait ça. Je suis mitigée entre le besoin de démarrer à tout prix et l’envie de remonter chez moi !
Un dernier coup de clé et elle démarre enfin.
Une route sans fin
La route est longue. J’ai l’impression que je ne vais jamais arriver. J’arrive presque à bout de cette nationale sans fin et je me fais flasher.
Bien. Ce trajet m’aura coûté au minimum 90 euros. Plus je roule et plus mon cœur se serre. Je m’éloigne de la ville, des gens, de la vie…
Je roule.
Je roule encore et encore.
Cela va faire une vingtaine de minutes que je n’ai croisé aucune voiture. Je traverse des champs à perte de vue.
Mais tout à coup, sur ma droite, j’aperçois une camionnette blanche à moitié garée sur la chaussée. Je me demande instinctivement ce qu’elle fait là. Après tout, elle a mille et une raisons de pouvoir être là. Une fois arrivée à sa hauteur, je jette un coup d’œil furtif, puis je la dépasse et je regarde dans mon rétro. Mais là, la camionnette n’est plus la seule chose qui m’intriguais sur cette longue route vide et sinueuse.
Une femme vêtue d’un t-shirt blanc et d’un jean est debout, à quelques centimètres de la portière du véhicule. C’est impossible, je ne comprends pas comment elle a pu se retrouver là en quelques secondes ?! Je ne lâche pas mon rétroviseur des yeux, je la vois au loin, debout, de marbre, qui regarde en ma direction. Inutile de vous énumérer les films et les scènes d’horreur qui me traversent l’esprit à ce moment.
Je suis presque arrivée à destination.
Au milieu de nul part
J’arrive à une intersection et le Gps m’indique « à droite ». J’ai pleinement confiance en lui ; le souci c’est qu’à droite… il y a une forêt. Et je n’ai pas prévu de travailler au milieu des loups et des sangliers !
Je m’arrête quelques secondes, je commence vraiment à me demander ce que je fais là. Je ne cesse de vérifier l’adresse… mais je viens de rouler durant plus d’une heure alors je ne peux pas faire demi tour maintenant. Je vérifie l’adresse de nouveau, je m’assure même sur internet que la structure existe vraiment. Je ne peux pas rester au point mort au milieu de nulle part. Cela me rend encore plus anxieuse. Je ressens ce besoin effréné « de rouler ».
Je pense à ma mère. Je fais tout ça pour elle. Je me dis que s’il m’arrivait quoi que ce soit, elle ne saurait même pas où me trouver. D’ailleurs, je n’ai plus beaucoup de batterie… je lui envoie rapidement un sms.
Je roule. Je prie. Je ne cesse de regarder autour de moi, et d’un coup j’aperçois une maison, puis deux, puis trois. Plus que quelque mètres et… je me retrouve devant une Église, au beau milieu d’une petite ville, en plein cœur de la forêt. Je ralentis, plein de maisons, de commerces, mais il n’y a personne. Je ne vois personne ! Tout est fermé ! Les devantures des magasins, les portes, les volets… tout !
Une ville fantôme !
Mon dieu, où ai-je atterri ?
Je ne suis plus qu’à quelques mètres de la structure, qui n’est autre qu’un château.
Plein de questions me traversent la tête ! J’ai juste envie d’en finir. Je me gare en plein milieu de la cour et je bondis de la voiture, mais en descendant brusquement, mon téléphone tombe de mes genoux. Et mon écran vient se briser au contact du gravier.
Je reste sans voix.
Je m’avance près des marches comme si la chute du téléphone n’était que la suite logique des événements.
La porte est entre-ouverte mais il n’y a aucun bruit. Je toque une première fois timidement en essayant d’entrevoir ce qu’il y a à l’intérieur. Je n’ai pas le temps de toquer une seconde fois que j’entends « C’EST OUVERT ! ».
Le manoir de l’horreur
Je m’avance et je tombe nez à nez avec le chef de service. Il est très grand. Il tient ses mains derrière son dos courbé et me demande de le suivre dans son bureau. Je presse le pas derrière lui et me retrouve dans un bureau exigu, sombre et inondé de photo de prêtres, de croix… Il est enthousiaste comme au téléphone, si ce n’est plus. Il me demande de le suivre pour visiter le château qui accueillera les futurs mineurs réfugiés politiques et réfugiés de guerres. Tout le long du couloir, il y a des bureaux de part et d’autre. Mais ils sont tous vides… Je lui demande très spontanément « où sont tous les employés ? » et il me répond, en souriant, qu’ils sont en train de procéder à de nouveaux recrutements, afin de changer l’équipe… toujours est-il que cela ne répond pas à ma question.
Il me fait visiter les cuisines et là je croise Marie. Je n’oublierai jamais son visage, sa vêture, sa voix, son rire.
Marie c’est la concierge, la maîtresse de maison et la cuisinière. C’est la seule employée encore présente ici. C’est une soeur tout de noir et de blanc vêtue, comme on y est habitué, portant un collier avec une croix accrochée à son cou, aussi énorme que le sceau d’eau qu’elle tient entre ses mains. Elle a un visage plus qu’avenant et elle hurle comme si elle n’avait pas eu de visite depuis plus de 20 ans.
J’ai peur. Elle rit à chacune de ses phrases, et s’adresse à moi comme si j’avais déjà commencé à travailler « pour » elle. Je n’ose pas vraiment la regarder. Elle me fait peur. Elle me demande de la suivre afin de me montrer où se trouve le compteur d’électricité. Je la suis et sans m’y attendre elle m’explique qu’il y a beaucoup de coupures de courant et que ce sera à moi de refaire marcher le compteur s’il est amené à sauter.
Waouh.
Dites-moi où sont cachées les caméras, s’il vous plaît, je ne vais plus tenir longtemps.
Sans plus attendre le chef de service me propose d’aller visiter ma chambre à l’étage ainsi que les chambres des enfants.
On monte, les marches crépitent sous le poids de mes Nike. « Château rénové il y a peu », on m’a dit… mon œil ! La structure est en ruine !
Le couloir est interminable. Je ne sais même pas pourquoi je continue de le suivre alors que je n’ai qu’une envie : c’est de prendre mes jambes à mon cou !!
Arrivée au bout du couloir, ma chambre est la dernière. Des tapisseries rouges, oranges décorent les murs et il n’y a qu’un lit et une table de chevet. Je lève les yeux et je m’aperçois qu’il n’y a même pas de fenêtre !
Il me dit qu’il y a un jardin derrière la cour, m’indique le nombre de rondes à faire par nuit, me propose d’aller visiter le grenier, et même de commencer demain !!! Mais à ce moment c’est fini, mon esprit n’est plus là ! Je me sens comme tétanisée. J’ai peur ! Peur de lui dire que je dois vite m’en aller et qu’il me retienne ici malgré moi. Alors je fais mine d’être intéressée par le poste et sur-joue, même ! Je presse le pas, lui dis qu’il pourra m’expliquer tous ces détails dès demain mais que j’ai un coup de fil très important à passer !
Je dévale les marches, remonte dans ma voiture et roule, roule, cette fois-ci sans me retourner.
Sur mon répondeur, le lendemain, pas moins de dix messages. Je n’ai jamais osé les écouter. Et si ce n’est aujourd’hui, je ne veux plus jamais me rappeler de ce jour.
Avant d’entreprendre quoi que ce soit, mes sœurs, consultez Allah. Faites salât istikhara. Et surtout, prenez vos précautions et ne vous forcez pas si vous ressentez une quelconque gêne dans votre cœur.